Partir du principe que tout est possible, dont l’impossible… voilà quelque chose de fabuleux ! La liberté d’expression à travers le corps, les gestes, les mimiques; la possibilité d’un déploiement de son propre imaginaire, des histoires que nous nous racontons à soi-même et aux autres… L’enfance ne nous a jamais quitté. Parce qu’il est vrai que pour les adultes, les attentes sociales, les responsabilités, les devoirs moraux et professionnels et les conséquences de nos actions peuvent nous rendre aigris et sérieux. Nous oublions parfois qu’avant d’être adulte, nous avons tous été enfant. Le jeu de rôle permet de se remémorer du passé.
Il arrive parfois d’entendre des moqueries et des critiques sur nos loisirs et nos jeux, que « ce sont pour les enfants« , sous-entendant qu’une fois devenu adulte, nous n’avons plus à redevenir enfant, comme s’il s’agissait d’un souvenir honteux, comme s’il y avait plusieurs temps définis. Mais il existe toujours un juste milieu dans tout ce qui nous attache à la vie. Pourquoi pas se prêter au jeu du retour à l’enfance, aux jeux symboliques du faire-semblant et au final d’un retour vers une période de la vie où on vit dans l’illusion qu’il n’y a pas de souci ?
Alors, le jeu de rôle peut prendre plusieurs formes et se présente différemment selon les circonstances, les règles et le contexte. Guidé par un maître de jeu (meneur de jeu, maître de donjon, game master…) qui entraîne ses joueurs sur sa table dans une aventure imaginaire, les joueurs ont pour devoir de créer un personnage et de le jouer dans l’univers crée par le maitre de jeu. Nous parlons dès lors de jeu de rôle sur table, où les joueurs s’arment d’un crayon à papier, d’une fiche de personnage et d’un jeu de dé. Et grâce à ces petits outils, chaque joueur accepte de partager son imaginaire avec les autres joueurs de la table, tous accompagnés par la bienveillance et la sagesse du maitre de jeu.
Généralement nous partons du principe que dans le jeu de rôle, nous incarnons quelqu’un ou quelque chose que nous ne sommes pas dans la réalité, donc le psychologue pourrait jouer le rôle d’un héros chevaleresque qui part à l’aventure; d’un détective privé qui se doit de résoudre une énigme machiavélique; d’un chasseur de prime de l’espace qui doit accomplir des missions intergalactiques… Ces scénarios font appel à notre imagination et nos connaissances sur le monde du fantastique, de l’horreur, de la science-fiction. Tout comme le jeu de rôle est le parfait bac–à-sable pour déployer nos fantasmes et nos angoisses, projetés sur un personnage ou univers imaginaire. Faire appel à son imagination est une chose, mais pouvoir se l’approprier et jouer avec notre imagination demeure une tâche plus difficile. En ce sens où il faut pouvoir se relâcher, savoir gérer ses fragilités personnelles (« failles narcissiques« ), et être à l’aise avec qui on est.
Nous sommes constamment animés par des histoires qui nous attachent et qui font écho dans notre imaginaire. Ceci étant, être à l’aise avec qui on est peut s’avérer être un obstacle, car après tout, si nous nous prêtons trop au jeu de rôle, nous risquons de trop nous attacher à la fiction. Lorsque dans la fiction, tout devient possible, cela risque de laisser des blessures narcissiques : nous nous retrouvons confrontés au deuil de la séparation entre réalité et fiction, et ce que nous investissons dans la fiction ne s’applique pas dans la réalité matérielle. Cela ranime la cicatrice du deuil de l’enfance, cette période de la vie qui peut rappeler l’âge d’or, entre jeux et insouciance. Par ailleurs, l’âge adulte n’est pas un destin toujours accepté, l’adolescence n’étant pas une période définie dans le temps mais inscrite dans la maturité de la personne, certaines personnes restent adolescents.
C’est important de jouer quand on est enfant, c’est ce qui permet de faire face aux traumatismes et aux blessures, au risque de s’engouffrer dans la dépression, l’isolement et la solitude. Jouer reste également un marqueur de créativité, de curiosité, de sociabilité et de volonté de (se) construire. Dans le cas du jeu de rôle, celle/celui qui est apte à jouer un personnage ou à concevoir un scénario imaginaire montre qu’elle peut toujours penser et imaginer. Elle ne s’abandonne pas à l’oubli et à la mélancolie, au contraire le jeu nous fait revivre.
Jouer reste un acte positif : nous mobilisons notre imagination et nous nous racontons des histoires fictives, tout en sachant que celles-ci sont à la fois pour de faux et pour de vrai.
- Pour de faux, car celui qui joue sait qu’il n’est pas ce qu’il joue, il sait aussi que ce qui est joué n’est pas en train de se faire dans la réalité immédiate;
- Et pour de vrai, car ce qui est joué est vécu comme réel, et les émotions/affects ressentis sont réels et restent en nous, même après le jeu.
En quelque sorte, nous savons à la fois que ce qui est joué n’a pas d’importance matérielle, mais elle a son importance sur le plan psychique, car les idées, les pensées et l’imaginaire déployé au cours du jeu restent authentiques.

Finalement, le jeu de rôle est une activité groupale dont le but reste la co-construction d’une histoire marquée par la recherche de sens et de quêtes symboliques. Par-dessus les récits épiques, mystérieux, tragiques et comiques, les joueurs cherchent à se retrouver dans les détails de ces récits, un peu comme lorsqu’on se fait bercer par les histoires de ses parents. A la différence que dans le jeu de rôle, il s’agit non pas de spectateurs, mais de joueurs : le premier écoute, regarde, reste passif, tandis que le second interagit, réagit et s’assure de rester proactif. Je parlais de partage des imaginaires, en effet, les joueurs doivent se partager le monde fictif dans lequel ils se trouvent et doivent trouver leur compte sans finir par écraser les rêves des autres joueurs, et ce n’est pas toujours facile, car ce peut être si réel ! Comment lâcher prise sur quelque chose qui nous concerne tellement et qui nous semble réel ? Autour d’une table de jeu de rôle, il faut apprendre à cohabiter ensemble l’univers imaginaire, et pour cela il faut respecter l’autre, les contraintes, les limites, les dangers que présente le maître de jeu.
En fin de compte, pour quelles raisons jouons-nous ? Parfois il s’agit de passer un bon moment avec ses proches, de rester connecté avec les autres. Lorsque nous gagnons une partie dans un jeu de société, nous nous réjouissons, notre investissement dans le jeu a abouti ! Et lorsque nous perdons, ceux-ci tombent à l’eau, mais nous avons tout de même passé un bon moment, car nous pouvons partager le jeu. Sinon, nous avons l’impression d’avoir perdu du temps et de l’énergie, et qu’en quelque sorte, nous avons été dérobé d’un sentiment de satisfaction personnelle.
En réalité, il s’agit d’une question subjective, propre à chacun. Comme en thérapie, il n’y a pas de bonne ni de mauvaise réponse. Il y a avant tout et surtout notre réponse. Comme quoi jouer finit par être une affaire sérieuse !